Peu de temps après la naissance de notre fils, mon âme sœur et partenaire de vie m’a confié qu’elle avait de grandes réserves à l’idée de lui faire intégrer le système scolaire. Son intuition l’avait guidée sur les traces de nombreux auteurs et travaux de recherches et le choix qui faisait le plus de sens pour elle était d’opter pour “l’école à la maison”.
J’étais un peu surpris… Il y avait apparemment de bonnes institutions dans notre région et d’ailleurs l’idée de ne pas envoyer notre fils à l’école ne m’était jamais vraiment venue à l’esprit: j’avais pris pour acquis que ce serait le cas, sans me poser de questions.
Mais dans l’ensemble, j’ai accepté avec facilité le souhait de ma partenaire. Elle et moi avions vécu plusieurs traumatismes, de différentes manières et à des degrés divers, à l’école primaire et au secondaire. Elle, par exemple, avait rencontré à l’âge de 9 ans un professeur sévère, qui lui avait annoncé en bilan de fin d’année scolaire, tel un prophète, qu’elle ne ferait jamais rien de sa vie, puisqu’elle n’était pas bonne en maths!

Pour moi, en tant qu’enfant légèrement «hyperactif», il m’était impossible de rester assis comme une statue de pierre sur une chaise. Je ne pouvais guère m’empêcher d’entrer en contact avec enthousiasme avec mes voisins de classe, ce qui me causait des ennuis avec les enseignants, en particulier mon éducatrice despotique de première année, Mme Leib. À plus d’une occasion, elle m’a traîné au bureau du directeur dans un état de larmes de panique pour la simple «offense» d’avoir parlé à mon voisin. Je ne me souviens pas d’une seule chose que Mme Leib m’ait apprise, mais je sens encore l’effet de ce qu’elle a infligé à l’enfant que j’étais.
Donc, si l’enseignement à la maison était une voie pour notre fils, je n’avais pas d’objection. Nous pourrions lui enseigner tout ce qui était à notre portée, et faire intervenir au besoin des alliés pour pallier à nos éventuelles lacunes. Simple, non?
Pas si vite.
Entrée en jeu des conditionnements
Le postulat de départ était, m’expliqua ma partenaire, que nous n’allions rien «enseigner» à notre fils, du moins pas au sens traditionnel du terme. Ses recherches approfondies sur ce qu’on appelle “l’apprentissage autodirigé” l’avaient convaincue que l’apprentissage opère lorsque (ou parce que) les enfants y sont intéressés. Tout comme les adultes, quand les enfants sont passionnés par ce qu’ils font, que ce soit la musique, l’art, la mécanique, la lecture, les mathématiques et ainsi de suite, ils l’apprennent rapidement et de façon durable.
Mes sonnettes d’alarme ont retenti. Ne rien enseigner? Alors, nous allions simplement laisser notre fils jouer dans les feuilles et traîner toute la journée? Aucune instruction formelle d’aucune sorte? Quand apprendrait-il à lire et à écrire, à additionner, soustraire et multiplier?! Cette initiative prenait tout à coup la tournure d’un cauchemar académique…

En fait, je ne savais pas que mon conditionnement quant à l’apprentissage et à l’éducation était aussi vaste et ancré. Comme la plupart d’entre nous, j’ai grandi en pensant que pour que les enfants apprennent, les adultes doivent impérativement transmettre le sujet. La pensée conventionnelle considère le cerveau des enfants comme un réceptacle vide, jusqu’à ce que des «experts» adultes le remplissent de connaissances.
Encore une fois, j’avais complètement tort.
Comment les enfants apprennent-ils vraiment?
Je me suis alors rendu compte que cette vision typique que nous avons de la façon dont les enfants apprennent est une erreur flagrante. J’ai commencé à prendre connaissance des recherches du Dr Peter Gray, de John Holt, John Taylor Gatto (cf la section Ressources de notre site internet). Selon le Dr Gray, en l’occurrence, le jeu est la condition sine qua non à un véritable apprentissage. Le jeu peut sembler bassement simpliste pour les adultes, mais en fait, le jeu stimule des voies neurologiques complexes qui sont indispensables au processus d’apprentissage.
Le cerveau d’un enfant traite et intègre en permanence de l’information. Ce n’est pas parce que nous avons l’impression que «rien ne se passe» que c’est le cas. Ce n’est pas parce que nous ne voyons pas de résultats immédiats et tangibles que l’enfant n’apprend rien.
Pensez-y un instant, cela tient du grand bon sens. Avez-vous déjà vraiment appris quelque chose lorsque vous trouviez le sujet carrément ennuyeux? Ou quand le sujet vous a été imposé?

Lire, c’est comme marcher
Quiconque met au monde un enfant en bonne santé ne doute jamais vraiment qu’il apprendra à marcher et à parler par lui-même. Un enfant peut apprendre à marcher à 10 mois et un autre à 2 ans, mais une fois adolescents, il est impossible de déterminer lequel l’aura appris en premier.
La même chose est vraie pour la lecture (et l’écriture etc.). En tant qu’humains, nous sommes programmés à un niveau génétique profond pour faire des liens avec le monde qui nous entoure et donc pour pouvoir nous y intégrer. C’est notre curiosité et notre intérêt qui nous guident vers ce que nous avons besoin d’apprendre pour façonner notre place dans notre environnement. Là aussi, si un enfant apprend à lire à 6 ans et un autre à 8 ans, il ne sera pas possible de savoir lequel des deux aura maîtrisé la lecture le premier.
Nous n’avons jamais «enseigné» la lecture à notre fils avec une quelconque méthode scolaire. Nous lui lisons des livres depuis qu’il est bébé, nous l’avons aidé à identifier les lettres, mais seulement quand il s’y intéressait ou le demandait, et uniquement quand c’était amusant pour lui. Nous répondons à ses questions, mais n’allons pas au devant. Nous ne lui avons jamais imposé de se pratiquer à lire, ni de faire des exercices de lecture.
En regardant des livres avec plaisir, en nous observant lire, notre fils a progressivement appris à lire seul, à son rythme et en toute confiance. Et lorsqu’il a été capable de nous faire la lecture pour la première fois, avec aisance et intonations bien senties, les apparences auraient pu nous faire croire que cela s’était produit d’un seul coup, comme par magie.

Les enfants sont câblés pour apprendre
Parce que leur cerveau réagit continuellement à leur environnement, les enfants accumulent des connaissances et des apprentissages sans forcément manifester de signes extérieurs du processus complexe en cours.
Les enfants dès leur plus jeune âge cherchent à maîtriser le monde qui les entoure. Ils veulent comprendre les mots sur les panneaux, lire les règles du jeu ou les messages sur votre téléphone! Que cet intérêt se manifeste à l’âge de cinq, sept ou même neuf ans, cela n’a vraiment aucune importance.
Chaque fruit mûrit en son temps, et il en va de même pour les enfants et les compétences qu’ils acquièrent éventuellement. Tout comme marcher et parler, s’ils sont libres de temps et d’espace pour explorer leur environnement, sans la pression des parents ou d’autres adultes, ils commenceront à lire… “comme ça”.
C’est ancré dans leur biologie.